Par Benyounés Baghdadi (chercheur)
Dans le cadre du débat actuel sur la réforme du régime de change au Maroc, j'essaierai à travers ce papier d'émettre quelques réflexions sur le passage imminent vers plus de flexibilité de dirham. Elles seront abordées du point de vue contextuel mais aussi sous l'angle des perspectives économiques du pays. Il ne s'agit pas ici de recenser les effets néfastes de l'introduction d'une telle réforme, d’autant plus que ceci a fait couler beaucoup d'encre. Plusieurs préoccupations sont bien légitimes, tant elles sont théoriquement fondées et parfois pratiquement vérifiées dans des expériences internationales.
Il s'agit encore moins de dresser un tableau noir qui discrédite purement et simplement la flexibilité du taux de change au profit de sa fixité ou du statuquo comme si les régimes de taux de change fixes n'ont jamais été nuisibles aux agents économiques. Tant s'en faut, d’ailleurs l'histoire a enregistré des crises financières sous l'auspice de différents systèmes monétaires depuis l’étalon-or pour ainsi dire jusqu'aux régimes de flottement actuels. Et puis, le monde de la finance ne manque pas de perversion pour engendrer et faire propager probablement des désastres économiques avec n'importe quel régime dès-lors que le cadre institutionnel se montre faillible ou que la rigueur réglementaire fait défaut. Pour les illustrations, je laisse le soin au lecteur de faire un petit flash-back quant aux évènements marquants de la finance internationale depuis les années vingt du siècle dernier.
Tous les régimes sont donc vulnérables et aucune politique de change ne saurait être considérée en elle-même comme garantie contre les fragilités financières. Partant de l’idée que la réforme de change en question serait le prolongement normal de la stratégie globale de développement économique du Maroc, laquelle ne date pas d’aujourd’hui, on peut du moins suivant cette logique interne, soulever les questions suivantes : dans quelle mesure l’économie marocaine est-elle prédisposée aujourd’hui à recevoir et réagir favorablement à ce nouveau traitement du dirham ? Comment les pouvoirs publics sauraient-ils mener cette réforme en phase avec les exigences d’une croissance durable ?
C’est à ces questions principales que cet article s’efforcera de répondre à travers un certain nombre de points
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1- Notions et mécanismes de base sur le régime de change
Le taux de change indique le prix auquel s'échangent les monnaies sur le marché des changes. Ce prix correspond à la quantité de devises que permet d'obtenir une unité de monnaie nationale. En principe, il existe deux types de taux de change :
- Le taux de change fixe suivant lequel la monnaie nationale est liée de manière discrétionnaire à une devise, généralement une monnaie forte telle que le dollar ou l’euro. Ou alors cette monnaie nationale est rattachée à un panier de devises comme c’est le cas pour le Dirham qui est ancré à l’euro et au dollar respectivement pour 60% et 40%.
- Le taux de change flottant qui correspond à une situation où ce sont les règles du marché qui déterminent les mouvements du taux de change et la convertibilité de la monnaie nationale dans le cadre des échanges extérieurs. Le rôle des autorités monétaires étant de veiller notamment à ce que le taux ne s’écarte pas trop d’une certaine valeur.En d’autres termes, dans le premier cas, la banque centrale est constamment mobilisée pour acheter et vendre les quantités de devises nécessaires au maintien du taux de change d’équilibre qu’elle souhaite. Dans le deuxième cas, le taux de change est déterminé par le marché sans intervention de la banque centrale.De fait, entre l’un et l’autre il existe des régimes intermédiaires tels que le rattachement à l’intérieur de bandes de fluctuations mobiles, le système de parités mobiles ou le flottement dirigé. A l’aide de la politique monétaire, on tente d’ajuster périodiquement la monnaie nationale dans des faibles proportions, compte tenu de différentiels d’inflation par exemple, ou de procéder à des ajustements du taux central à l’intérieur de certaines marges de fluctuations. En gros, il s’agit là de combiner dans une certaine mesure la stabilité et la flexibilité. Ce qui veut direaussi que la politique de change est étroitement liée à la politique monétaire. Et, ces régimes intermédiaires qui sont souvent adoptés au niveau international et dont les règles sont plus ou moins proclamées, s’appuient sur certains instruments de la politique monétaire notamment :
- le ciblage des agrégats monétaires M1 et M2 en tant que point d’ancrage nominal ou objectif intermédiaire ; - la fixation d’un taux cible d’inflation avec engagement des autorités monétaires de le poursuivre ;
- la disposition des banques centrales à acheter et vendre les devises à un prix conforme à la valeur prédéterminée qu’elle aurait arrêtée entre certaines marges. En fait, c’est autour de ces axes que s’articulera semble-t-il l’orientation de la politique monétaire et de change au Maroc dans un premier temps avant de passer au flottement libre.
Parler de liaison avec la politique monétaire, cela amène à s’interroger évidemment sur deux variables économiques importantes qui sont l’inflation et le taux d’intérêt. Elles ont des incidences directes sur la demande, l’épargne et l’investissement, elles entretiennent entre elles des relations de cause à effet et elles agissent plus indirectement sur le commerce extérieur et le taux de change.
Le taux de change officiel porté à la connaissance du public, est exprimé en terme nominal. Donc pour mieux comprendre l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat, il faudrait raisonner en termes de taux de change réel. Ce dernier représente le taux de change nominal d’une monnaie nationale par rapport à une monnaie étrangère, après sa pondération par l’indice des prix de consommation dans les deux pays concernés. Selon la théorie de la parité des pouvoirs d’achats, le taux de change entre deux monnaies nationales doit être établi de telle sorte que le même panier de biens et services ait le même prix dans les deux pays. Si le taux de change laisse subsister en l’occurrence un écart quant au prix de ce même panier, il doit y avoir alors des mécanismes d’arbitrage pour l’éliminer au moyen des mouvements des changes et /ou des prix intérieurs.
On peut dire qu’à court terme, les variations de taux de change sont déterminées par des paramètres proprement financiers. Si bien que c’est le taux de change qui sert, dans ce cas, à ajuster les offres et les demandes des actifs financiers requis dans le cadre des échanges extérieurs. Mais à moyen terme, ce sont des déterminants réels liés à la parité des pouvoirs d’achats qui prennent le dessus sur la dimension purement financière ; auquel cas le contrôle de change ne pourrait être distingué du contrôle de l’accroissement de la masse monétaire et de l’inflation ainsi que de la politique budgétaire et fiscale. Mais ces dimensions pourraient être mieux étudiées en s’interrogeant sur les différences des régimes de changes et leurs influences sur les objectifs de la politique de stabilisation.
2- Différence de régimes et implications sur la politique conjoncturelle
En acceptant de fixer la parité de référence en régime de change fixe, la banque centrale s’engage donc à l’appliquer pour échanger sa monnaie et à détenir aussi les quantités de devises nécessaires pour répondre aux demandes des opérateurs. Il en résulte de sa part, des interventions actives et répétées, consistant en l’achat et la vente de la monnaie nationale pour la maintenir à sa valeur nominale. Par conséquent la politique monétaire est axée fondamentalement sur la modulation des réserves de change, si bien qu’une certaine stabilité économique est assurée même artificiellement. Cependant le manque de réserves risque de déséquilibrer complètement l’économie au point de mettre en cause le maintien même de ce régime.
En change flexible, les autorités monétaires n’ayant pas d’engagement direct, le taux de change fluctue librement et se détermine dans le marché des changes selon la loi de l’offre et de la demande. Ainsi, aussi bien le manque que le surplus de réserves sont susceptibles d’être régulés spontanément, et si les mécanismes jouent sainement, ils peuvent amener à un cours de la monnaie nationale correspondant à la valeur réelle de l’économie. En revanche, vue l’étroite intégration commerciale et financière entre pays, la transmission des effets récessifs à l’échelle mondiale ainsi que l’impact des politiques monétaires des pays partenaires sont plus rapides et plus accentués dans le cas du régime flexible que dans celui du change fixe.
Le contrôle des autorités monétaires peut prendre d’autres formes notamment en ce qui concerne les variations des taux d’intérêts. Quand on a un taux de change fixe, l’équilibre externe peut être réalisé à l’aide des mouvements de taux d’intérêts lorsque les déséquilibres internes sont susceptibles d’être corrigés par les variations des prix intérieurs. En revanche, en régime flottant, l’équilibre externe est en principe obtenu automatiquement par les variations du taux de change pendant que le contrôle des taux d’intérêt sert à remédier aux déséquilibres internes. Sauf qu’en cas de déséquilibre important de paiements courants et de conflits concomitants entre l’offre et la demande de devises, la banque centrale en régime fixe n’a autre solution que d’intervenir pour modifier le volume de réserves de change. A défaut toutes les variables économiques y compris les taux d’intérêts sont déterminés par les mécanismes pervers du choc externe.
Par contre en régime flottant, elle n’a plus à intervenir en l’occurrence dans la mesure où l’ajustement sur le marché des changes est effectué par des mouvements de capitaux induisant des variations du taux de change et partant des modifications des conditions de l’échange.
En théorie monétaire, on se réfère parfois à ce qu’on appelle le triangle d’incompatibilités. Il s’agit d’une représentation dans laquelle il n’est pas possible d’obtenir simultanément les trois objectifs suivants : la stabilité des cours de change, la liberté des mouvements des capitaux et l’autonomie de la politique monétaire.
Selon l’économiste Timbergen, l’adéquation entre les moyens et les objectifs en matière de politique économique présuppose que le nombre d’instruments utilisés doit être au moins égal à celui des objectifs poursuivis. Dans ces conditions, les banques centrales ne peuvent atteindre que deux des trois objectifs précités. De fait, Il a été observé que généralement dans les pays industrialisés, on privilégie de recourir aux deux derniers objectifs en cherchant plus de latitude de l’outil monétaire dans le cadre de stratégies de flexibilité de change et de mobilité du capital.
Il en découle que la politique monétaire dispose d’une certaine marge de liberté avec les régimes de la flexibilité des taux de change. Surtout que les autorités monétaires ne sont plus obligées de détenir des quantités importantes de réserves et qu’elles ne doivent pas lier systématiquement l’accroissement de la masse monétaire aux variations des devises, (tel serait le cas d’une augmentation de la masse monétaire qui répond à une importante entrée de devises, liée à des excédents de la balance des paiements.)
Par ailleurs, bien que la relation entre l’inflation et le taux de change ne soit pas toujours facile à cerner, il est admis que ses liens de causalité jouent dans les deux sens. En effet d’une part, certains économistes considèrent que l’écart entre les taux d’inflation de deux espaces économiques est la principale source de l’évolution constatée de leur taux de change. D’autre part, il a été soutenu qu’une variation du change, qu’il soit fixe ou flexible, peut influer sur le taux de l’inflation. Dans ce cas, la décision des autorités monétaires (dévaluation) ou le jeu des mécanismes du marché (dépréciation) engendre une hausse du prix en monnaie nationale des importations et une baisse du prix en devises étrangères des exportations. Dans l’immédiat ceci provoque une dégradation de la balance commerciale. Mais après un certain temps, les effets-quantités l’emportent sur les effets-prix pervers associés au renchérissement des importations. Bien entendu les délais des réactions varient dans le temps et dans l’espace. De même, l’importance relative de l’amélioration du solde commercial, dépend de la structure des biens et services échangés par pays.
3- Quelques remarques sur les prérequis de la réforme
Dans le contexte du régime de change flottant, on peut donc bien admettre que la politique monétaire retrouve des marges de liberté plus importantes lui permettant de cibler d’autres objectifs internes de la politique économique. Et c’est justement dans cette optique qu’on pourrait juger certaines orientations stratégiques de la politique économique du Maroc notamment par le truchement de ses nouveaux instruments financiers. A cet effet, voyons d’bord comment se présentent les prédispositions du Maroc à la veille de cette importante réforme de change.
- L’un des prérequis majeurs souvent évoqués concerne la situation des finances publiques généralement mesurée par le niveau des déficits budgétaires. De ce point de vue la situation au Maroc est jugée favorable tant par le FMI que par le gouvernement. On estime qu’une certaine discipline budgétaire a été observée et que le solde budgétaire a été amélioré et ramené désormais à un niveau non critique quant à son impact sur l’inflation et l’équilibre macroéconomique (soit un déficit de 3,9% en 2016 contre 4,2% en 2015 et un déficit prévu pour 2017 de 3,5%).
Quoi qu’il en soit, il me semble que le niveau de l’endettement public atteint à l’heure actuelle et l’importance qu’il requiert, ne sont pas franchement pris en compte dans ces constats. Il peut s’agir là d’« une fausse note » puisque le volume de la dette sans précédent (786 milliards de DH en 2015 soit 80% du PIB) est susceptible de durcir la contrainte financière du trésor et réduire la marge de manœuvre de l’Etat quant à l’arbitrage entre l’équilibre des finances publiques et la nécessité d’engager certaines dépenses publiques, sans oublier les conséquences fiscales néfastes sur les générations futures.
- La gestion des réserves de change représente également un prérequis pour la transition vers plus de flexibilité. Il a été enregistré que les premières phases du passage au nouveau régime de change flottant sont sujettes à des fluctuations excessives et à certaines « attaques spéculatives. » il en découlerait des déséquilibres externes et des amenuisements des réserves de devises aboutissant naturellement à leur pénurie totale. D’où l’intérêt de constituer, à titre de dispositif prudentiel, un stock de réserves suffisant pour protéger la parité de la monnaie nationale et éviter une fragilisation du système financier et une accentuation des déséquilibres macroéconomiques.
Le Maroc dispose aujourd’hui d’environ six mois de réserves de change (soit 252 milliards de dirhams). De surcroît ce montant est consolidé par une « ligne de précaution et de liquidité » du FMI de l’ordre de 3,5 milliards de dollars, que le Maroc peut utiliser en cas de crise aiguë déséquilibrant la balance des paiements. Là encore on considère que cette prédisposition est confortante eu égard à l’éventualité des perturbations conjoncturelles. Mais il va de soi que la maîtrise relative des chocs externes dépend de leur intensité et leur récurrence. Ajouter à cela les « attaques spéculatives » susceptibles d’exacerber la situation.
D’ailleurs à l’heure où j’écris ces lignes, le gouverneur de Bank Al-Maghrib dénonce l’abus des banques commerciales en ce qui concerne certaines opérations de couverture de change proposées à leurs clients propageant ainsi la rumeur selon laquelle le dirham pourrait être dévalué.
- Quand on évoque le système bancaire justement, il est important de connaître son degré et sa nature d’intégration au système financier dans sa globalité. L’existence d’un marché financier solide et développé est également un prérequis considérable surtout qu’on en est venu à l’idée qu’il existe une relation étroite entre les comportements et les mécanismes de ce système d’une part et l’éclatement des crises de change d’autre part. Tel a été le cas par exemple dans les pays latino-américains (Mexique : 1994 ; Argentine : 1999 ; Brésil : 2001) et lespays du sud-est asiatique (1997). Le système financier marocain qui est dominé par les activités bancaires présente des risques liés au mobile problématique de la maximisation du profit dans un cadre vulnérable dépendant en partie de la volatilité des financements extérieurs, avec généralement des taux d’intérêts inadaptés à la gestion des liquidités en plus de dysfonctionnements des méthodes de la gestion des risques.
Les nouvelles réformes introduites récemment (marché de capitaux, bourse, finance participative, etc.) doivent être conduites dans le sens de l’instauration de nouvelles disciplines consolidant le système actuel et le prémunissant contre les risques et aléas internes et externes.
4- A propos des perspectives à court et à moyen terme
Au vu de ce qui vient de ce qui vient d’être dit jusqu’ici, il importe de formuler certainesremarques quant à l’orientation de cette nouvelle politique de change et son impact sur la croissance à court et à long terme.
Partant des convictions des pouvoirs publics, du FMI et de la Banque mondiale au sujet de la nécessité de cette réforme, du choix du moment de son introduction et de ses perspectives prometteuses, il ne serait fécond d’apprécier la situation suivant l’approche logique qui leur est propre.
S’agissant de nécessité de modifier le régime de change marocain le principal argument avancé est centré autour de l’idée que la parité du dirham telle qu’est est délibérément soutenue, est artificiellement forte par rapport à l’économie marocaine et son ouverture sur l’extérieur. Ceci est de nature à susciter une attractivité des biens d’importation et partant une détérioration du solde courant de la balance des paiements. Tout se passe comme si les importations bénéficiaient d’une « subvention déguisée » au détriment de la production nationale. D’ailleurs, même l’amélioration relative de la balance commerciale, récemment, est imputable à la baisse des produits énergétiques si bien qu’en 2015, les parts relatives de l’euro et du dollar dans le panier des devises ont été ajustées (respectivement à 60% et 40% au lieu de 80% et 20% auparavant).
Il est tout à fait légitime donc de s’attendre à ce que la flexibilité de change offre de réelles opportunités pour atténuer relativement les effets concurrentiels des produits étrangers, d’encourager à consommer marocain ce qui relance l’investissement et l’emploi, limiter les sorties de devises et in fine redresser la situation de la balance des paiements.
Quant au choix du moment de la réforme, les pouvoirs publics et les institutions de Bretons Wood s’accordent pour soutenir qu’à l’heure actuelle, le Maroc est bien disposé à amorcer la réforme : stabilité des équilibres macroéconomiques, niveau réduit de l’inflation, réserves suffisantes… En outre la conjoncture économique internationale n’est pas mauvaise et, surtout, le changement attendu n’intervient pas consécutivement à un choc extérieur et sous une grande pression d’instances supranationales comme ce fut le cas pour certains pays.
Ceci étant, quelque soit le degré de pertinence de ces jugements favorables aux préconditions de la réforme, il ne faut pas perdre de vue qu’elles ont été largement réalisées au prix de mesures impopulaires, au détriment du niveau de vie de certaines couches sociales et d’intérêts de certaines catégories professionnelles et au prix aussi de réduction de postes d’emploi des administrations, et parfois de certains retards dans la programmation ou l’exécution de projets d’utilité publique. De ce fait, il serait tout aussi inéquitable qu’inefficient de leur faire supporter davantage de dégradation de revenus réels et de pouvoir d’achats à l’occasion de cette nouvelle réforme et ses algorithmes d’ajustement macroéconomiques.
Loin de négliger la nécessité de préserver les équilibres macroéconomiques fondamentaux, leur aspect globaliste et mécaniste ne devrait pas occulter d’importants degrés de libertés permettant de retraiter les allocations des ressources à des fins de justice sociale et pour une meilleure incitation à créer les richesses. Les gains de productivité doivent profiter à l’ensemble de la collectivité en vue de soutenir vraiment les fonctions économiques de consommation, d’épargne d’investissement et d’emploi. Autrement, on assisterait de plus en plus à la concentration de la richesse entre les mains d’une petite population de spéculateurs et de rentiers qui outre ses comportements ostentatoires et son improductivité, saura utiliser, à sa manière, les différentes clefs d’ouverture de l’économie marocaine, pour l’enfoncer dans un cercle vicieux de déséquilibres extérieurs et d’automatismes internes à agrandir le champ des pauvres et des exclus. Le choix de la libéralisation et de l’ouverture de l’économie la rend aussi plus vulnérable aux effets pervers. Halte alors aux comportements pseudo-économiques morbides ! Halte à l’économie du bakchich si on veut gagner le pari de l’ouverture.
Quand on parle de politique de répartition des ressources, cela ne se limite pas à la problématique des revenus salariaux, mais ça concerne aussi tout ce qui est lié aux inégalités entre les secteurs d’activité, entre les différentes entreprises, entre les régions et les autres entités territoriales…Bien que les pays émergents aient connu des évolutions mitigées depuis deux décennies, leur croissance plus fortement ancrée à l’économie mondiale, s’est accompagnée généralement à la fois par l’accroissement des revenus par tête et par la baisse de pauvreté et l’amélioration des indices de développement humain. Il s’agit de performances qui ne sont pas, à mon sens, liées systématiquement à un modèle de développement ou à l’ouverture économique qui pourrait même donner des fois des résultats contraires en raison des effets de la mondialisation. Ils résultent plutôt d’une bonne utilisation du cadre et des mécanismes d’ajustements structurels et institutionnels mis en place en l’occurrence. Certains pays comme le Brésil ont réussi, de surcroît, à réduire sensiblement les inégalités sociales, tel que cela apparaît avec la baisse du quintile supérieur des revenus des ménages dans le revenu total du pays.
Plus le revenu global est déterminé par les plus gros revenus, plus les inégalités tendent à augmenter. Et on peut dire que l’enrichissement individuel devrait être raisonnablement mesuré par rapport à la richesse de la nation.
Les rapports de la banque mondiale ne confèrent pas au Maroc un bon classement, ni pour le PIB par habitant ni pour le développement humain. L’IDH, indicateur du développement humain adopté par le PNUD se base sur des critères qui interpellent les secteurs de l’enseignement et de la santé, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui posent aujourd’hui dans notre pays des problèmes parmi les plus problématiques.
Le développement économique et le bien-être social sont intimement liés. Le Maroc a fixé depuis quelque temps une vision de développement économique avec des stratégies sectorielles à moyen et long terme dont on ne peut pas ignorer la pertinence. Encore faut-il challenger les process et les modes de gouvernance eu égard à la dynamique des compétences et maîtrises ainsi qu’aux considérations morales et éthiques.
Si le régime de change est régi par un cadre législatif et réglementaire déterminé, il est en même temps une pratique, un art de décider et d’agir. La flexibilité du taux de change peut ainsi jouer un rôle favorable en vue d’accompagner les orientations stratégiques et les grands projets du Maroc (nouvelle stratégie africaine, place financière de Casa, etc.) Aussi, les outils de la politique économique gagneraient-ils à être mieux cohérents en vue de desserrer les contraintes extérieures. La règle de l’égalité des instruments et des objectifs, sus-évoquée trouve un certain intérêt dans ces conditions. Les autorités monétaires ont raison de soulever la question des mesures d’accompagnement de la politique monétaire. Mais avec un élargissement relatif de sa marge de manœuvre, cette dernière peut intervenir largement dans le maintien et l’amélioration du pouvoir d’achat ainsi que dans la réduction des coûts de certains facteurs, en conciliation avec une bonne conduite des politiques budgétaires et fiscales. Force est de constater par ailleurs que le chômage des jeunes en particulier a atteint un niveau tel qu’il est impossible de le résorber avec le rythme de croissance actuel et les traitements anodins de ce fléau, appliqués jusqu’ici. Le scenario d’une association de stocks cumulés de chômage et d’une détérioration récidiviste du pouvoir d’achat, refléterait tout simplement l’incompétence en matière de décision publique. Faut-il signaler à cet égard que lorsque les pays du sud-est asiatique pratiquaient tout au début de leur stratégie économique, une politique de salaires bas, c’était aussi pour combattre complètement le chômage. Ultérieurement, les salaires étaient revalorisés progressivement parce que les gains de productivité se répartissaient raisonnablement et s’utilisaient rationnellement. Les salariés soutenaient la consommation et les entreprises réinjectaient la plus grande part de ce qui leur revenait, dans les circuits productifs. Autrement dit le « surplus » n’était pas prélevé pour financer in fine des dépenses somptuaires et inutiles, qu’elles soient privées ou publiques.
Les dimensions économiques et sociales étant imbriquées, la combinaison des divers instruments de la politique à court et à long terme, doit être économiquement rationnelle et socialement responsable.